Accompagner le changement est une expression fourre-tout qui fait même partie de la culture bullshit, élégamment mis en exergue par Karim Duval dans son dernier opus « petit précis deculture bullshit » publié aux éditions le Robert.
Pourtant il est certain qu’une organisation a une propension naturelle à changer, c’est à dire à se métamorphoser, à s’adapter, fonction de contingences endogènes ou exogènes.
Dans le monde des collectivités locales, le changement structurel passe par l’émergence d’un projet politique, le projet de mandat, qui est le plus souvent accompagné dans sa réalisation d’un projet d’administration.
Un projet d’administration est un document de référence, créé collectivement et qui décrit les modalités de mise en œuvre du projet politique ainsi que les conditions d’organisation de l’administration.
Je ne reviendrai pas sur les modalités de sa création qui peuvent prendre de multiples formes et qui peuvent par ailleurs se voir renforcer de projets de services.
Si certaines étapes préalables sont nécessaires, comme la réalisation d’un diagnostic organisationnel ; la définition des objectifs poursuivis et la mise en exergue de pistes d’amélioration, sa mise en œuvre est le plus souvent vue au travers du prisme opérationnel.
Une fois le projet créé, on le met en œuvre : on pilote, une main sur le budget, une autre sur les indicateurs de performance. Rien à redire sur la démarche et sur la méthode, c’est archiconnu.
Ce qui l’est moins c’est la prise en compte de certaines conséquences. C’est ainsi que nous nous intéresserons ici aux risques liés à sa fonction première qui est celle de faire cohésion.
Le but d’un projet d’administration, hors la mise en exergue de politiques publiques particulières, est bien de donner un cadre, un socle à l’action des services. Tout le monde travaille autour des mêmes valeurs et d’un même but.
Ce qui est parfois négligé, c’est que les agents en charge de sa mise en œuvre, les membres des équipes de direction tout particulièrement, vont devoir porter ce projet d’administration. Et si toute la pédagogie nécessaire a été déployée pour leur expliquer les raisons et les bénéfices attendus de sa mise en oeuvre, il n’est pas rare cependant que sa réalisation soit minée en interne par de fortes résistances.
Dans ce cas, les coupables sont rapidement désignés : manque de flexibilité de quelques cadres préhistoriques, management d’un autre temps, culture de l’immobilisme du fonctionnaire, toutes les raisons plus ou moins objectives vont y passer. Il n’est pas rare qu’un bouc-émissaire soit aussi montré du doigt, responsable de tout et de l’inaction en particulier.
Sauf que… voilà. Ce n’est sans doute pas si simple.
Dans ce cadre particulier, on évoquera la résistance, qui est un phénomène d’ordre psychique influant sur la capacité à mettre en œuvre une action qui modifie elle-même un comportement habituel. Le cadre soumis à cette résistance, n’est pas tant l’acteur de ce refus que sa victime.
Dans le pire des cas, il ne comprend pas pourquoi il résiste si ce n’est que la nouvelle situation ne lui plaît pas du tout !
Dans le meilleur des cas, il objective cette résistance en rationnalisant. C’est-à-dire qu’il explique rationnellement les raisons de son refus. D’un point de vue psychologique, la rationalisation se définit comme un procédé par lequel une personne va donner une explication logique, cohérente et parfois morale à une attitude qui lui est propre, mais qui en réalité le résultat d’un conflit défensif et inconscient.
« Il faut être ingénieur pour mettre ce truc en place… » ; « ceux qui ont pondu ça, n’ont aucun sens des réalités, ils ont perdu le contact avec le terrain ! » ; « je n’ai pas confiance en moi » ; « mon équipe n’est pas assez nombreuse » ; « ça marchait très bien comme ça avant » ; vous ne m’avez pas fourni le budget nécessaire » …
Pour faire simple, ce n’est pas tant le changement en lui-même qui pose problème et encore moins le projet d’administration en particulier, que la manière dont il résonne singulièrement (et inconsciemment) chez la personne qui doit le mettre en œuvre. Cette résonnance va « réveiller » un trauma, mettre à nue une angoisse, sans même que le dépositaire de cette angoisse ne s’en rende compte.
C’est dans ce cadre qu’intervient le coaching de cadres, en particulier si ce coaching se veut psychodynamique, c’est à dire s’il utilise certains des outils de la psychanalyse pour faire émerger ce qui résiste et potentiellement en réduire les interférences.
Dans tous les cas, ce qu’il faut retenir ici c’est que la pédagogie est nécessaire mais non suffisante. Faire oeuvre de pédagogie n’est pas toujours faire oeuvre de répétition devant des personnes qui ont parfaitement compris les raisons du projet d’administration. C’est souvent même faire insulte à leur intelligence. Cependant, tout le monde s’accorde à dire que quelque chose coince. Il faut donc faire quelque chose…
Tirer à boulets rouge sur les quelques encadrants qui ont du mal avec le changement ne réglera que le symptôme si j’ose dire, c’est-à-dire la partie émergée de l’iceberg. En revanche comprendre ce qui motive profondément leur résistance pourra fournir matière à une saine interrogation sur leurs habitudes de travail.
Pour cette raison, toute modification substantielle de l’organisation de la structure devrait s’accompagner, non seulement de la pédagogie nécessaire mais encore de séances de coaching collective et individuelle qui permettront à chacun de se positionner au mieux dans ce nouvel agencement organisationnel.
Rémy Canuti
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