Tout le monde s’accordera, je pense, sur le fait qu’un manager est avant tout un leader.
Il doit être entreprenant, bienveillant, à l’écoute, charismatique, empathique, favoriser l’intelligence collective, faire émerger les nouveaux talents, diriger sans imposer, se remettre en question aussi souvent que nécessaire, être attentif aux objectifs de son équipe tout comme aux siens, « cheffer » mais pas trop, s’adapter à la réalité du terrain, aux exigences du public, aux attentes des élus s’il travaille dans le public, penser la durabilité des politiques publiques, leur interdépendance, réfléchir à la résilience de la structure dans laquelle il travaille, gérer les risques psychosociaux et les exigences de sens dans le travail des employés… la liste est sans fin.
Dans ces conditions, bien sûr, puisque tout est fait en conformité avec les innombrables exigences juridiques, éthiques, financières et environnementales de notre temps, la question du renoncement est extrêmement difficile à poser.
Le projet, quel qu’il soit, doit aboutir car tous les paramètres ont été pris en compte : du bien-être des salariés jusqu’aux répercussions budgétaires en matière de fonctionnement…
Or, il est indispensable de prévoir la possibilité de renoncement. Plus le projet est important, plus il importe d’y réfléchir en amont de la décision.
Il est vrai qu’en mode projet, on ira jusqu’à cartographier les risques en leur conférant plus ou moins d’importance et en diminuant la probabilité d’occurence à mesure qu’ils s’effacent.
Cependant, il n’est pas question ici d’évoquer l’échec, mais l’abandon, le renoncement à un projet et à une idée dans lesquels beaucoup d’énergie a été investie. Or, c’est sans doute l’une des choses les plus difficiles à faire et cela est aussi du ressort du cadre-dirigeant.
Les raisons peuvent en être multiples : les besoins ont changé, les finances se sont taries, le projet s’avère plus onéreux que prévu en raison de difficultés internationales, une pandémie surprend tout le monde, une majorité change son fusil d’épaule en matière de préférence, bref…
La question se pose donc de savoir comment faire. Et plus encore de déterminer quand il faudra s’arrêter, ne plus lutter contre l’inévitable, mais sauver ce qui peut être encore sauvé ou stopper l’hémorragie financière et d’énergie que constitue le projet.
Un exemple me revient toujours à ce sujet et qui constitue l’un des apprentissages de réponse aux situations d’urgence des pilotes de ligne. On leur apprend à revenir sur leur décision, quelle que soit la valeur de la décision prise précédemment, car il est de leur devoir de renoncer au parti pris quelques minutes plus tôt, si c’est la seule et unique solution. La vie des passagers, l’intégrité de l’avion sont en jeu et les répercussions d’une mauvaise appréciation sont extrêmement lourdes.
Plusieurs biais cognitifs peuvent nous empêcher de prendre la bonne décision, c’est-à-dire de stopper un projet. Parmi les plus risqués, notons le biais de l’excès de confiance dont le nom est à lui seul évocateur ; le biais du cadrage serré, qui limite notre vision quant au nombre de possibilités autres que celles choisies ; voire le biais de l’intuition, qui nous conforte dans la solution que nous avons choisie.
Et puis il y a simplement le fait de se sentir un peu coupable d’avoir dépensé et fait dépenser tant d’énergie pour rien… La gêne de s’être trompé.
À l’heure du super-manager qui doit gérer des situations de plus en plus complexes avec toujours plus de qualités, il est presque indécent de se fourvoyer et d’abandonner…
Or, un abandon, ce n’est jamais rien. En ce sens, c’est aussi utile en matière de retour d’expérience qu’un échec. Et il appartient au manager d’effectuer le geste indispensable qui lui ouvrira les voies de la compréhension et de la responsabilité.
Renoncer c’est donc avant tout choisir, c’est-à-dire faire le choix de privilégier ce qui ne l’était pas auparavant, en sacrifiant ce qui était de l’ordre de l’important mais qui ne l’est plus. En ce sens, il n’y a rien de plus stratégique comme décision.
Rémy CANUTI
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